Religion et Laïcité

Publié le par Denis-Zodo

De plus en plus, des acteurs politiques et non des moindres, semblent trouver refuge dans les casernes de Dieu. Au-delà des locataires habituels, les casernes s’apprêtent désormais à abriter les « dieux politiques » de la terre, des humains, à ne pas confondre avec « l’être suprême, créateur du ciel et de la terre, de toutes choses et sauveur du monde ». En effet, Dieu, au-delà de son ascension religieuse, est devenu, pour certains adeptes avides de sensations fortes ou de popularité, l’incarnation, voire la source d’inspiration politique. De façon prosaïque, on utilise le nom de Dieu pour exercer une domination sur les peuples. Au nom de quel Dieu ? Cela ne renferme-t-il pas des conséquences ? Qu’est-ce qui pousse nos chefs d’Etats africains à s’arroger des pouvoirs ou des missions divines ? Certains acteurs politiques s’arrogent un pouvoir  « divin » aux fins de maquiller leurs incompétences et forfaits, toutes choses qui visent à tromper le peuple et faire souffrir davantage dans une patience interminable. L’accaparement des hommes politiques africains à travers la vague de mouvements pentecôtistes et islamiques qui déferlent sur  le continent, constitue une préoccupation majeure dans la recherche de l’instabilité des Etats africains. Alors que la constitution, la loi fondamentale des pays africains consacrent la laïcité comme un caractère intangible de l’Etat, une telle pratique augure non seulement de la situation peu reluisante des droits de l’homme, de la démocratie et du développement en Afrique, mais illustre comment les chefs d’Etat transforment les Etats en religions. La Côte d’Ivoire, pays pauvre à l’instar de nombreux pays africains, est devenue depuis l’avènement du multipartisme, une terre promise et fertile à l’expression des religions. Pour la plupart des adeptes de ces mouvements, Dieu aime la Côte d’Ivoire, il aime les Ivoiriens ; raison pour laquelle il fait proliférer une multitude de religions dont les leaders ne visent que la présidence. Car, chacun a un message pour le président Gbagbo. Du simple fidèle au chef de l’Etat, chacun se voit dans une mission de Dieu en faveur des Ivoiriens. Ainsi, certains affidés de Gbagbo n’hésiteront pas à soutenir dans un journal de la place que « Gbagbo est un envoyé de Dieu pour sauver les Ivoiriens ». Il a continué en disant que « au commencement, Jésus parlait Bété », c’est-à-dire la langue maternelle du président Gbagbo. En ces termes, on peut comprendre l’amalgame entre l’Etat et la religion. Le chef de l’Etat lui-même dans certains discours publics se constitue en pasteur ou en « Dieu » pour annoncer « la bonne nouvelle ». C’est amusant, mais cette litanie exprime manifestement une intrusion politique dans la religion ou encore une introduction de Dieu dans la vie politique.

La religion n’est-elle pas neutre dans un Etat ? La réponse est l’affirmative. Parce que, tous les leaders politiques d’un pays, ont chacun une religion. Ces leaders se connaissent dans une religion mais s’ils sont endoctrinés, ils conduiront leurs militants vers une destination obscure, car  religion et politique ne sauraient entretenir la paix dans un contexte de pluralité religieuse et politique. Chaque religion, par des représentations fragmentaires, soutiennent des individus en quête de légitimité afin d’assurer leur lendemain obscure. Cela crée certaines conditions de campagne de stigmatisation des religions ou des groupes religieux en raison de leur attachement à certains leaders de partis politiques. En Côte d’Ivoire, par exemple, lorsqu’on parle de l’Islam, on voit derrière cette religion le RDR (Rassemblement des Républicains). On l’a vu, dans plusieurs pays, des campagnes suscitées et relayées par des groupes intégristes, quelque fois avec la bénédiction ou la passivité coupable des autorités, ont abouti à un conflit. Les chefs d’Etat sont colportés par des religions, qui constituent des groupes de soutien. En plus de ce soutien incontournable (car souvent intéressé) dans plusieurs pays, les chefs d’Etat, fidèles pratiquants ou non, ont leurs marabouts qui leur servent de conseillers spirituels donc les maîtres de la conscience du chef de l’Etat. Leurs conseils sont inspirés de « Dieu ». Ce sont ces derniers qui guident les actions et les décisions politiques bien que non politiciens. Ainsi, certains pasteurs ivoiriens ont demandé à Gbagbo (le chef de l’Etat) de changer le nom de la Côte d’Ivoire, car selon eux, c’est ce qui est à l’origine de la crise. Souvent, les présidents prêtent serment sur la Bible (quand ils sont chrétiens) ou sur le Coran (quand ils sont musulmans) ou encore sur d’autres symboles religieux, dans une communauté religieuse. Dans ces conditions, il n’est plus président, mais le porte parole de Dieu. D’où, la confusion du pouvoir. Ainsi, la laïcité officiellement proclamée par la constitution et les déclarations universelles des droits de l’homme est galvaudée. Les présidents et autres acteurs politiques gouvernent dans ce cas sous le sceau d’une religion à qui ils attribuent à tort ou  à raison, la source de leur pouvoir. C’est cette manière de faire qui conduit à la mal gouvernance. On le sait, selon l’histoire politique des Etats, les rois et autres souverains ou chefs investis au nom d’une religion ou d’un Dieu surnaturel, se sont mis finalement en despotes. Car, convaincus que leur pouvoir émane de Dieu, ils se sentent plus coupables de leurs erreurs et actes négatifs. Tout ce qu’ils font est justifié par le pouvoir « anonyme » ou « inconscient ». Dans ces conditions, ils n’écoutent que la voie de leur cœur, leurs désirs et leurs volontés ou la volonté de leurs affidés. Le peuple enfermé dans une prison mentale en raison de la soumission ne saurait revendiquer ce qui doit être. Il demeure dans le silence pour faire perdurer le mal dans de telles contradictions. Ainsi, les chefs « Dieu » ou les présidents « Dieux » confisquent les libertés fondamentales de ce peuple et les manipulent à leur guise. Toutes les dérives lui étant permises, ces dirigeants princes  et Dieu imposent aux peuples que des devoirs et point de droits, car les droits ne sont que les largesses ou les libertés reconnues en raison de leur soumission et cela relève du prince. On le voit, cette atmosphère n’entretient que « l’arrogance » et « la haine » du chef. Toutes choses qui prédisposent à la rupture de la gouvernance politique et démocratique. C’est ce à quoi on a assisté partout dans le monde, déchiré par des conflits religieux. Les chefs d’Etat et gouvernants, pour masquer leur carence se transforment en homme de Dieu pour tromper davantage le peuple qui ne souhaite que sa survie. Comme par le passé, devant les difficultés de pénétration des réalités africaines, « la religion avait servi de cheval de Troie pour conquérir l’Afrique et abrutir ces peuples, à l’effet de piller leur richesse ». Aujourd’hui, cela doit prendre fin, car il faut sceller la séparation entre l’Etat et la religion, et mettre fin au pouvoir « divin » ou supposé comme tel. Il faut donc encourager la primauté du droit sur l’arbitraire, et assurer la promotion de la gouvernance politique, économique et sociale. Désormais, il faut éviter d’ériger les centres d’intérêts publics en podiums d’évangélisation ou d’outrage à la religion, car, c’est une provocation qui aura des conséquences inéluctables. Des marchands d’illusions doivent s’affranchir de ce folklore zélé et circonstancié d’adoration de « Dieu » ou d’évangélisation tout azimut, afin de contribuer au développement de l’Afrique. On le voit, la religion dans ces conditions, est un frein à la démocratie. Aussi, le pouvoir humain ne saurait se hisser au rang du pouvoir divin. Et la recherche effrénée d’une emprise sur les hommes ne doit pas donner droit à « un amalgame  des valeurs morales ou une perversion des religions », selon les termes de Taofic C. Boussori dans un éditorial.

Publié dans société

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