Chypre, champ de mines pour le pape

Publié le par Denis-Zodo

Souvent critiqué pour ses faux-pas diplomatiques lors de déplacements à l'étranger, Benoît XVI entame vendredi une visite à haut risque à Chypre. Sur cette île divisée au coeur de la Méditerranée, le pape devra éviter tout dérapage risquant de fâcher la Turquie et le monde musulman

Les divisions entre grecs et turcs, les failles au sein de la communauté chrétienne orthodoxe, la question des destructions d'édifices religieux chrétiens et musulmans s'annoncent comme autant de champs de mines pour Benoît XVI. Son voyage apostolique de trois jours sur l'île d'Aphrodite et de Saint-Paul apparaît comme un test, après ses propos controversés sur le lien entre Islam et violence, ses remarques sur le SIDA et le préservatif en Afrique ou encore sur les bienfaits de la christianisation en Amérique latine.

Ce voyage à Chypre intervient alors que le président chypriote-grec Dimitris Christofias et le tout juste élu dirigeant chypriote-turc Dervis Eroglu viennent de reprendre les pourparlers de paix après une pause de deux mois.

Officiellement, la division de l'île n'est pas au menu du pape, qui n'a pas l'intention de se rendre dans le nord, dans cette "République turque de Chypre-Nord", née de l'invasion par l'armée turque en 1974 et d'une douloureuse partition, auto-proclamée indépendante en 1983 et que seule Ankara a reconnue.

Le Vatican, en revanche, a organisé ce déplacement autour de la localisation géographique de Chypre comme antichambre de l'Orient: Benoît XVI y rencontrera les chefs des Eglises catholiques de la région pour y préparer l'Assemblée spéciale pour le Proche-Orient du synode des évêques, en octobre au Vatican.

Outre les problèmes plus vastes du Proche-Orient, il sera impossible d'ignorer les tensions chypriotes, qui imprègnent toute la physionomie d'une île où des cathédrales devinrent mosquées au cours des siècles... A Nicosie, Benoît XVI résidera à la Nonciature apostolique, située juste sur la Ligne Verte, cette zone-tampon patrouillée par les Nations unies et séparant les deux communautés.

Si l'ambassadeur de Chypre auprès du Vatican se réjouit de cette visite, l'ambassade de Turquie a  déploré que le pape ne se rende pas dans le nord de l'île, rappelant l'existence en RTCN d'une petite minorité catholique et maronite et de trois églises.

Benoît XVI devra donc jouer les équilibristes dans cette île où la religion pèse lourd et dont la grande figure de l'indépendance et premier président, Makarios III, était aussi primat de l'Eglise orthodoxe locale.

Ankara a annoncé qu'elle surveillerait de près tout commentaire susceptible d'être analysé comme un soutien aux Chypriotes-grecs, ou toute allusion à la destruction des églises du Nord.

En 2006, reçu en audience au Vatican, feu le président chypriote d'alors, le nationaliste Tassos Papadopoulos, avait offert au pape un album de photos des églises du Nord détruites par l'envahisseur turc, d'autres reconverties en restaurants, d'autres en magasins, ou affectées à des usages séculiers. Benoît XVI avait alors trouvé ces destructions "incroyables".

De son côté, la RTCN a publié un livre documentant les destructions de mosquées, cimetières et autres signes de la culture turque au Sud, intitulé "Effacer le passé; la culture chypriote-turque et l'héritage religieux sous le contrôle de l'administration chypriote-grecque".

Autre sujet délicat, les relations entre la communauté catholique -maronite et latine, locale et immigrée- de Chypre et la majorité chrétienne-orthodoxe du Sud. Certains membres ultraconservateurs du clergé orthodoxe, qui jugent le pape hérétique, estiment qu'il devrait rester à Rome et ne pas venir provoquer les 800.000 orthodoxes de l'île.

On est loin de l'époque du "Grand Schisme" du XIe siècle qui vit se séparer les Eglises d'Orient et d'Occident, désormais réconciliées et vivant en général en bonne intelligence, mais certains rechignent toujours.

Ces mauvais coucheurs "peuvent rester chez eux" s'ils ne sont pas heureux de la venue du pape, a tonné l'archevêque Chrysostome II, actuel primat de l'Eglise orthodoxe de Chypre.

Pour désamorcer toute éventuelle agitation fomentée par les groupes anti-pape, le synode a diffusé une circulaire, lue dans les églises, assurant les fidèles qu'aucune discussion sur des sujets religieux sensibles n'aura lieu pendant ce voyage.

Source : AP

Publié dans société

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