La bidonvilisation : une véritable pathologie urbaine

Publié le par Denis-Zodo

Les bidonvilles sont des ‘ghetto’ bâtis pêle-mêle sur un terrain accidenté de plusieurs hectares dans des conditions anarchiques. Il tire son origine de la misère des peuples aux catastrophes naturelles et aux guerres. Le mot bidonville qui veut dire ville ‘bidon’ a connu une évolution. C’est une zone urbaine très densément peuplée, caractérisée par un habitat inférieur aux normes et misérable. Par la suite, cette définition a été reprise en insistant sur les conditions de logement sordide, de surpeuplement, de maladie, de pauvreté et de vice. Récemment, elle a mis en place une définition opérationnelle prenant en compte le manque de service de base, l’habitat, le surpeuplement, les conditions de vie malsaines et / ou dangereuses, la précarité des logement, la pauvreté et l’exclusion sociale et la taille normale. Aujourd’hui, le phénomène des bidonvilles prend de plus en plus de l’ampleur. Ainsi, il apparaît légitime de s’interroger sur leur origine, analyser ce qu’on leur reproche, et proposer des solutions en vue de l’atténuer.

 

L’ampleur du phénomène,

 

 L’autre face de la croissance des villes et l’accroissement de leur population sont la prolifération d’une immense tragédie d’appauvrissement.

Si la préservation de l’architecture est relativement importante, l’accès à un logement décent est plus que fondamental. Cependant, une ruée vers les bidonvilles s’impose à certains individus. Les bidonvilles sont des quartiers précaires ou des quartiers ‘pauvres’ dont le taux démographique augmente de façon géométrique, et les chiffres sont impressionnants. Dans presque toutes les grandes villes du monde, il existe un quartier précaire dit « bidonville ». Ces quartiers pauvres qui prolifèrent aux proximités des villes renferment une part importante des statistiques démographiques des zones urbaines. En Ethiopie, au Tchad et en Afghanistan, plus de 95% de la population vit dans les bidonvilles. Au niveau mondial, il y a environ 1 milliard de personnes qui vivent dans les bidonvilles, soit 1 habitant sur 6 dans le monde, ou le 1/3 de la population urbaine mondiale. Dans 5 grandes métropoles asiatiques, à savoir Mumbai, Delhi, Kolkata, Karachi et Dhaka, il y a plus de 15.000 bidonvilles avec plus de 20 millions d’habitants.

Notre continent n’est pas en reste ; de Lagos (Nigeria) à Abidjan en Côte d’Ivoire, on a plus de 70 millions de personnes pauvres dont 80% habitent les bidonvilles. Les estimations dans 15 ans tournent autour de 2 millions de résidents dans des bidonvilles. Chez nous en Côte d’Ivoire, les bidonvilles prolifèrent et prennent des dimensions impressionnantes.

A San-Pédro, une ville portuaire de la Côte d’Ivoire, on a le quartier « bardo » composé de 18 sous-quartiers d’une étendue de plus de 2000 hectares et abritant plus d’un million de personnes. Le Bardo est le plus grand bidonville d’Afrique. A côté de Bardo, il y a plusieurs autres bidonvilles disséminés sur le territoire ivoirien. Ce sont notamment les quartiers, Yao-Séhi, Sicobois, Bory Bana, Doukouré, Mon mari m’a laissé, Washington, Koumassi sans fil, Mossikro, Gbinta etc…

A Abidjan, le taux des populations des bidonvilles est de 53% selon une étude menée par le Ministère de la construction et de l’urbanisme en 1992. Aujourd’hui, nous tendons vers 70% selon les estimations de plusieurs experts de la question. Il y a donc une urgence, car les bidonvilles représentent une « véritable pathologie urbaine ».

Mais, quelles en sont les causes ?   

 

Les causes ou facteurs de la prolifération des bidonvilles

 

 Les bidonvilles existent depuis la création des cités, fondée sur la société des classes. Les prolétaires habitaient les quartiers insalubres, non loin des villes. Et les bidonvilles étaient de petites étendues. Mais, avec la crise du pétrole, et la mise en place des PAS Programme d’ajustement structurel) par le fond Monétaire International et la banque Mondiale au tournant des années 1980, le nombre de personnes en difficulté et sans emploi va s’accentuer. Les licenciements et la réduction drastique du personnel dans des entreprises privées, ainsi que la baisse du nombre de recrutés au niveau de la fonction publique en sont des facteurs importants. Même, en campagne, la mévente des produits agricoles, les aléas climatiques, ont précarisé la vie des populations en milieu rural, ce qui conduit à la recherche d’emploi en ville. Le nombre de chômage s’augmente de jour en jour au même rythme que les sans emploi. Le souci de rester non loin de la ville alors qu’il est impossible d’héberger ou de payer un logement décent, contraint ces individus à explorer les bidonvilles. Les victimes des programmes d’ajustement structurel n’ayant pas bénéficié de mesures d’accompagnement adéquat, se sont retrouvées très appauvris, ce qui conduit la grande majorité à abandonner ou à céder leur domicile pour se réfugier dans les bidonvilles en attendant des lendemains meilleurs. En Côte d’Ivoire particulièrement, la plupart des bidonvilles ont été fondés par des ressortissants étrangers ou les manœuvres de sociétés fermées en raison de la crise. Les étrangers sont venus par vagues successives, soit pour des objectifs économiques, soit pour se préserver contre la guerre qui règne dans leur pays. Ainsi, les premiers arrivants ont occupé ces quartiers de taudis situés souvent non loin des chemins de fer, des routes de la mer ou de la lagune. Dans les zones industrielles, prolifèrent ces quartiers pour conjuguer le rapprochement entre les bidonvilles et les emplois.

Enfin, les PAS ayant intensifié l’exode rural et le chômage, créant les conditions de promiscuité dans le foyer a ouvert la voie à la vente ou la location de maisons dans les zones dangereuses non loties. Ces zones non prises en compte par le cadastre sont aujourd’hui très profitables.

Les gouvernements qui se sont succédés n’ont pas pu mettre en place un programme efficace de lutte contre la pauvreté. Les subventions et les faveurs ont pris rapidement fin pour faire place à une corruption qui rend la vie difficile. C’est donc la grande pauvreté qui pousse à s’agglomérer dans les espaces précaires et insalubres. Cette urbanisation aux allures de cauchemar, renferme un danger permanent.

 

Les bidonvilles, une menace grave

 

Les bidonvilles constituent une menace évidente. Elles sont une menace quotidienne. En effet, situés dans des zones dangereuses (marécages, terres régulièrement inondées, très rapprochées des voies ferrées, sous les hautes tensions ou près des pipelines…) avec des logements faits en cartons, plastiques, bois, sans tenir compte des conditions de lotissement. Les maisons construites de façon anarchique ne peuvent bénéficier d’aménagement urbain notamment les voies routières, l’adduction d’eau potable, l’électricité conventionnelle, les égouts. Ces quartiers sont inaccessibles si bien qu’en cas d’incendie, l’intervention des pompiers est impossible. Dans certaines régions, en raison de la rareté des espaces, les bidonvilles sont situés sur les toits des immeubles. C’est au Cambodge où plus de 3000 nouveaux logements par an se développent sur le toit des immeubles d’habitants modestes. En Inde, c’est dans les wagons abandonnés et autres véhicules usés que la plupart de ces sans revenus s’installent.  Ces quartiers caractérisés par l’inexistence des secteurs publics abandonnés à leur sort :

     -  manque criard de service de base (pas d’eau courante, absence de service de santé primaire…)

     - la précarité des maisons

     - le surpeuplement, la proximité et l’insalubrité permanente

     - condition de vie malsaine ou dangereuse

     - la pauvreté et l’exclusion sociale

Ces zones très densément peuplées, caractérisées par un habitat inférieur aux normes et misérables constituent des lieux de tensions quotidiennes, de pratiques religieuses diverses, de maladies et de boom démographique. La rareté des ressources impose la raison du plus fort et du plus malin pour y survivre. Les points d’eaux sont collectifs, même les fosses d’aisance. Les résidents vivent généralement de petits métiers, et le boom démographique dans ces quartiers les rend très mouvementés grâce à une jeunesse active sans travail. Des mafias et des bandes organisées militarisées s’y forment facilement. Car ces quartiers renferment plusieurs personnes désoeuvrées et sans emplois, facilement récupérables pour tout faire. C’est la source d’alimentation des mouvements miliciens et rebelles. Les violences et la criminalité de façon générale, sont récurrentes. C’est le lieu des maquis, bars dans lesquels on assiste à l’affrontement quotidiens de bandes rivales. C’est aussi, le lieu de prolifération des sectes et religions. En raison de la misère permanente, des personnes vendeuses d’illusion s’y installent pour assurer leur lendemain et leur survie quotidienne. La prostitution, la drogue et l’alcool y gagnent du terrain. C’est généralement dans ces quartiers qu’on réalise tout ce qui est interdit. L’inaccessibilité et l’injustice dont les résidents sont l’objet, font d’eux, des personnes aigries de ceux qui sont nantis et des gouvernants. Généralement, ils regrettent ce qui est public ou étatique. Notamment, les lois, pour se fonder sur la culture hybride de leurs ghettos. La drogue, le sexe et l’alcool illicite se vendent sur des marchés sans inquiétude et sans crainte. L’ignorance et l’analphabétisme sont très développés en raison de l’absence d’édifice scolaire publique et de la précarité financière des parents. L’enfant qui naît est donc formé dans le milieu hostile qui le rend rebelle contre l’Etat, qui l’exclut et le marginalise. Les bidonvilles constituent un brassage de plusieurs cultures différentes dont le « mariage » n’est pas facile. Cela explique en partie, la récurrence des conflits entre autochtones et allogènes ou entre étrangers et non étrangers dans ces quartiers. Mais, au delà de la misère de ces populations et des aspects négatifs que présentent les bidonvilles, ils ont un rôle social important. En effet, en l’absence de moyens financiers solides, les Etats ont de façon passive, admis les réfugiés des pays limitrophes en guerre dans ces taudis. En Côte d’Ivoire, les déplacés de guerre se sont retrouvés pour la plupart dans les quartiers précaires. Les quartiers précaires constituent une source importante de main d’œuvre. De plus, les bidonvilles sont des habitats de transition car les zones occupées par ces quartiers sont destinées à la construction d’édifices publics qui ne figurent sur aucun plan urbain. Les occupants généralement ne sont ni propriétaires ni locataires du terrain, mais plutôt du logement qu’ils habitent. Le locataire du terrain ou le propriétaire fictif est la mairie ou le district. Dans ces conditions, les habitants de ces logements « sociaux » doivent bénéficier de traitements particuliers, différents des violences dont ils font l’objet. En réalité, les constructions dans ces quartiers sont juridiquement illégales. Mais, ces logements sont d’abord admis comme des habitations provisoires, si bien que la loi et la pratique avaient toléré les abus. Pendant, la guerre, ou en période de paix, les autorités prennent l’initiative de détruire ces logements et y chasser leurs résidents au motif qu’ils sont nocifs, criminogènes et ternissent l’image du pays en décourageant le Tourisme et l’investissement étranger. Mais, ce recours à la violence pour déguerpir ces populations déjà marquées par la haine contre l’Etat, est une voie suicidaire pour nos Etats. Car, le faisant, le taux de criminalité va accroître, au lieu de baisser puisque, les problèmes, devenus plus grands, ces personnes pourraient s’adonner à toutes activités même dirigées contre l’Etat, leur ‘ennemi’. Au point de vue du droit, il y a une atteinte aux droits de l’homme. C’est pourquoi les gouvernements en sont souvent interpellés par l’ONU et l’ONU-CI. Il convient donc d’aider les populations de ces zones par une bonne gestion des problèmes de surpopulation, de lutte contre la pauvreté et surtout, prendre en compte des mesures d’accompagnement. Les bidonvilles existent partout. Ils vont continuer d’accroître si on ne fait rien.

C’est pourquoi, il convient avant tout de les intégrer dans les plans d’urbanisme pour une gestion cohérente et une meilleure intégration de ces quartiers informels dans les villes. Il faut lotir ces zones, susciter la mise en œuvre de l’assainissement et la dotation de ces zones en différents réseaux. Instaurer le service public minimum notamment par la sécurité publique (par la construction de commissariat), par la santé publique (infirmerie) et par l’éducation publique (écoles primaires…).

Il faut prendre en compte la gestion des déchets et susciter l’appui de la communauté internationale par le truchement de projet de lutte contre la pauvreté en vue de la création d’activités génératrices de revenus en faveur de ces populations.

 

Au niveau des communes

 

Des efforts peuvent être faits. Faire la planification en matière d’urbanisation, et dans cet optique, impliquer les opérateurs économiques communaux dans la lutte contre la criminalité et la délinquance dans ces quartiers.

Il faut s’inscrire dans des grands programmes communaux de développement humain au niveau local visant l’accès à des emplois stables, à l’éducation et les services sociaux de base.

Tout ceci est possible grâce à une union forte des nations.

                                                            

Publié dans société

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G
Merci infiniment pour votre analyse. c est tres important pour moi parce que je travail sur ce theme <bidonvilisation en Haiti: ses causes et ses consequences.
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D
c;est un phénomène de notre société,les villes n;ont pas un plan directeur.la démographie s,accroit de jour en jour .malheureusement,rien ne prévu pour freiner la construction des bidons villes.
J
un papier qui traite le vrai problème des habitations précaires.merci pour votre analyse.
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D
<br /> merci devotre contribution, à bientôt<br /> <br /> <br />