Gbagbo-Soro : jeu de dupe ?

Publié le par Denis-Zodo

Après la signature de l’accord de Ouagadougou, ils sont nombreux, les Ivoiriens qui avaient juré que la collaboration ou si vous voulez, l’entente retrouvée entre le camp présidentiel et les ex-rebelles des Forces nouvelles n’était pas sincère. Pour la plupart des Ivoiriens, la nomination de Guillaume Soro, chef des insurgés de Bouaké, au poste de Premier ministre, répondait à une seule volonté. Celle qui consistait pour Laurent Gbagbo, à rapprocher auprès de lui, le secrétaire général des Forces nouvelles, pour mieux le « cueillir », comme une mangue mûre. Mais très vite, des voix s’étaient élevées tant du côté du pouvoir en place que chez l’aile molle des Forces nouvelles- avide de pouvoir-, pour dénoncer les ennemis de la paix. Survint alors l’attentat manqué contre l’avion du Premier ministre à l’aéroport de Bouaké le 29 juin 2007. Chacun des Ivoiriens a eu le droit de spéculer sur ceux qui pouvaient en être les auteurs. Mais presque un an après cette sombre parenthèse, ni l’enquête diligentée par les autorités ivoiriennes, ni la commission d’enquête internationale n’a donné le moindre résultat sur la mission à elles confiée. Seulement, dès la survenue de cet attentat, c’est Guillaume Soro, comme choqué par ce malheureux événement, qui avait crié en ces termes : « je sais ceux qui sont derrière ce coup », avait déclaré le Premier ministre devant les responsables des partis politiques, allés lui apporter leur soutien à Bouaké. Laissant les mains libres aux enquêteurs de faire leur travail.

Chemin faisant, des propos, provenant de part et d’autre des deux belligérants ont souvent laissé comprendre que l’amour n’était pas profond entre ces vrais faux  tourtereaux. C’est d’abord le président du Fpi, le parti au pouvoir et la première dame, elle-même présidente du groupe parlementaire de ce parti qui ont, les premiers, assené des coups de massue à leurs partenaires des Forces nouvelles qu’ils accusaient de ne pas être sincères dans le processus de désarmement. Danièle Boni Claverie, elle, est allée plus loin dans le cadre du Cnrd, mouvance proche du chef de l’Etat, pour demander la démission de Guillaume Soro de la tête de l’ex rébellion en raison du poste de Premier ministre qui lui est dévolu. Ces critiques, de trop pour les Force nouvelles, ont été dénoncées avec vigueur par leur porte- parole. Mais jusque là, les Forces nouvelles avaient ménagé le pouvoir Fpi, conscientes qu’en le faisant, elles mettaient à mal la collaboration. Seulement, il y a de cela deux semaines, le Commandant Chérif Ousmane, l’une des figures de proue de l’ex-rébellion a accordé une interview à l’hebdomadaire panafricain « Jeune afrique ». Le chef militaire dans ses échanges avec le confrère, n’a pas été tendre avec Laurent Gbagbo. « Il traîne des casseroles (…) comme Charles Taylor », a-t-il déclaré. Mettant certainement mal à l’aise le chef de l’Etat, mais plus encore, le Premier ministre Soro. Mais qui sait ? Peut-être que c’est fait à dessein. Puisque comme dit l’adage africain, « quand tu danses avec des aveugles, piétines-les quelques fois pour leur prouver qu’on est aussi présent sur les lieux ».

 

Les mauvais exemples

 

Avec la sortie de Affi, Simone et Boni Claverie, on pouvait penser que ce n’était que des peccadilles. Mais avec les récents propos de Gbagbo en personne, on ne peut que se convaincre de ce que le mal est profond. En effet, à l’ouverture de la réunion du comité Afrique de l’Internationale socialiste, samedi dernier à Abidjan, Laurent Gbagbo a déclaré ceci : « la rébellion est une fausse solution à de vrais problèmes(…). Les rébellions sont des leurres. Ce sont des mirages ». Citant en exemples, Foday Sankho en Sierra Leone, John Garang au Soudan, Jonas Savimbi en Angola et Charles Taylor au Liberia. Les trois premiers sont atrocement morts, un peu comme leurs mouvements, lorsque Taylor est actuellement devant le tribunal international. En évoquant ces noms, il est clair que le Premier ministre de Gbagbo, chef de l’ex-rébellion se sent concerné par l’allusion, même s’il n’a pas été nommément cité. Surtout qu’un proche de Gbagbo avait déclaré au plus fort de la crise, « qu’en voyant Soro, c’était un Savimbi sur pieds ». Ces propos du chef de l’Etat ont en effet attiré l’attention de ceux qui voyaient en ces retrouvailles du « père » et du « fils », une réconciliation de façade. Et pourtant, dit le sage, « la parole qui arrange tout est celle qui détruit tout ». Autrement dit, il faut savoir tenir la langue. N’ayant pas fait sien, cette sagesse, Gbagbo risque d’être perçu  comme celui qui, la rancune tenace, ne veut pas jouer franc jeu. Puisque pour certains observateurs de la crise ivoirienne, le n°1 ivoirien a cette manie de dire à l’avance ce qu’il va faire de ses adversaires. Toute chose qui constitue pour ces derniers, un gros avantage. Celui, en effet, de trouver les moyens nécessaires pour esquiver le coup. En septembre 2002, il a annoncé dès son retour d’ Italie qu’il ferait voler en éclat cette rébellion nouvellement installée. En novembre 2004, il annonçait à toutes les occasions, qu’il réunifierait sous peu le pays. Il a tenté. Par contre, il n’est pas parvenu à ses fins. Il le parviendra peut-être par la paix. S’il s’abstient de tenir des propos de nature à réinstaller la méfiance.

 

Paru dans le jour plus N°1424 du jeudi 19 juin 2008

 

Publié dans Politique ivoirienne

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