Côte d'Ivoire: Crise à Zouan-Hounien

Publié le par Denis-Zodo

Quand les représentants de l’Etat et la SMI s’associent pour tuer

 

Véritable acte de barbarie et de sauvagerie que celui perpétré début novembre à Ity, village de Zouan-hounien, chef-lieu de préfecture, aux frontières libériennes, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ity, notons-le, est surtout connu pour sa mine d’or. C’est justement les activités menées par la Société d’extraction des mines d’Ity (SMI) qui ont suscité des empoignades entre les forces de l’ordre, commises par le Préfet, un administrateur civil, Agnimel Salomon et le Sous-préfet militaire, le Capitaine Allah Kouakou, et les jeunes gens d’Ity et des villages voisins. Bastonnades, tirs à balles réelles, blessures graves, problèmes urinaires dus aux terribles coups donnés aux bas ventre, sont les conséquences des actes de barbarie causés par des gendarmes aux ordres.

Mais comment en est-on arrivé à une telle situation pour le moins déplorable ? Au cours d’une réunion convoquée le 19 octobre 2008 par le Chef de canton Gonto Lambert à Méantouo, et ouvert aux chefs, présidents des jeunes, présidentes des femmes et notables des huit villages riverains de la société minière, avec un ordre du jour tournant entre autres, autour de l’indemnisation des paysans dont les terres cultivables et cultivées sont endommagées par les activités de la SMI à hauteur de 30 millions de f CFA, de l’augmentation du fonds d’aide à la région au double, du choix des entrepreneurs par les chefs des villages dans la gestion du fonds d’aide à la région, du choix des journaliers et des tests d’embauche effectués à Abidjan et qui n’est visiblement pas de leur goût. Cette réunion qui s’était tenue de 8 heures 30 minutes à 13 heures 45 minutes, a décidé de maintenir tous les points contenus dans l’ordre du jour. Y compris l’augmentation du fonds alloué chaque fin d’année au Chef du village de Ity et du réprofilage tous les trois mois, des routes et rues de nos villages. Et le procès verbal de cette réunion du 19 octobre d’avertir, qu’ « au cas où l’un des points de l’ordre du jour souffrirait d’un apport de solution adéquate au bonheur de la population riveraine, celle-ci se réserve le droit d’immobiliser l’activité de la SMI dans les 72 heures après réception de cette présente. Ce, jusqu’à l’obtention des suites satisfaisantes à leurs multiples préoccupations dont d’autres points sont contenus dans les divers ». Et ampliation a donc été faite au Chef de Canton, aux Chefs, aux présidents des jeunes et femmes des huit villages riverains de la société minière, mais aussi aux autorités que sont le Député, le Maire, le Président du Conseil général de Danané, aux Préfet, Sous-préfet, et Chef de Brigade de Zouan-hounien, et surtout à la Direction de la SMI. Et comme l’appel des villageois est resté sans suite, les jeunes gens du village ont mis à exécution la menace proférée par la réunion du 19 octobre, non pas trois jours, comme initialement prévu, mais le 7 novembre 2008, soit un peu plus de deux (2) semaines après la mise en garde. Ainsi, les choses ont débuté ce 7 novembre à Ouyatouo. Et presque partout, ils ont dressé des barricades à l’aide de troncs d’arbres coupés, pour empêcher l’accès à la société. Ce qui est sûr, c’est que l’appareil répressif de l’Etat a été mis au service de la société minière pour mâter les jeunes revendicateurs. Comme nous l’écrivions plus haut, les dégâts humains sont énormes. On peut dénombrer dans les huit villages, au moins 120 blessés suite à leur passage à tabac. Certains, parmi les plus atteints, continuent de sortir des urines ensanglantées. 39 parmi eux, ont pu avec des moyens propres, acquérir des certificats médicaux. Au regard de cette situation lamentable, on est en droit de se poser cette question aussi fondamentale que nécessaire. Qui a donné l’ordre aux gendarmes de charger ?

« C’est bien le Préfet Agnimel Salomon et le Sous-préfet militaire, le Capitaine Allah Kouakou Léon qui ont donné l’ordre aux forces de l’ordre de bastonner les jeunes », répondent, unanimes les habitants. Le mépris du premier pour le peuple Dan est si avéré, que le Préfet Agnimel n’a pas hésité à traiter les « Yacouba » de rebelles. Or, ce que semblait ignorer le Préfet Agnimel, c’est que sur la table, tout près de lui, avait pris place un certain Chairman Guéï, Président du Conseil d’Administration de la SODEMI et dirigeant de l’Union des mouvements patriotiques Dan (UMP Dan), une milice proche du Front Populaire ivoirien, parti dont il est lui-même un fervent militant et un non moins redoutable seigneur de guerre. Le DG de la SMI, Daniel Yahi, ne serait-il pas un de ses bras séculiers dans la région ? Une question qui n’est pas loin de l’affirmative. C’était donc le lundi 17 novembre dernier à la Préfecture de Zouan-hounien, au cours de la réunion de réconciliation. Ce qui fonde les accusations des habitants. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que pour avoir donné l’ordre de bastonner des civils aux mains nues, le Préfet Agnimel et le Sous-préfet militaire Allah ont failli à leurs missions, quand on sait que le rôle dévolu à des autorités de leur trempe, est de protéger les populations civiles inoffensives. Mais s’ils se posent comme des bourreaux pour les citoyens qu’ils sont censés protéger, ils doivent des explications après leur forfait. Mieux, ils ne méritent pas les postes qu’ils occupent au nom de l’Etat.

 

                                      De la justesse du combat des populations

 

Il n’est un secret pour personne que si l’on ne mène pas soi-même son combat, personne d’autre ne viendra le faire à sa place. C’est au regard de cette réalité que ces jeunes gens ont décidé de prendre leur destin en main pour que la Société des mines d’Ity les prennent en compte, surtout en considération des dommages qu’elle fait subir à la population environnante. Quoi de plus normal donc s’ils demandent à la Société de les insérer en son sein et de porter assistance à ceux qui souffrent des conséquences de la présence de la SMI dans cette localité. Car, ce que beaucoup d’hommes ne savent pas et qu’il faut leur apprendre, c’est effectivement le caractère nocif du cyanure, produit utilisé dans l’extraction de l’or. Mais la question qui se pose est la suivante : comment ce produit hautement toxique est-il traité ? Où déverse t-on après usage, ce dangereux produit ? On se rappelle que déversé dans le fleuve Cavally, il y a des années, il avait tué les poissons dudit fleuve. Aucune réponse n’est donnée en tout cas, à ces questions. Dieu seul sait pourtant la dangerosité de ce produit qui, au toucher à main nue, peut ôter la peau. Mais le directeur général Daniel Yahi et le directeur d’exploitation, y compris leurs acolytes de Préfet et Sous-préfet militaire à qui la société dit-on, verse des sommes pour les amener à fermer les yeux sur les méfaits de ladite société, n’ont pas la conscience nécessaire, pour reconnaître ce qui est nuisible pour la population. Ces responsables préfèrent les intérêts pécuniaires aux vies humaines. Et ils abusent de leur autorité pour en imposer aux villageois à qui ils causent de nombreux désagréments. Tenez ! Depuis 1989, date à laquelle la SMI exerce, ce sont de nombreuses familles qui ont perdu leurs terres et leurs plantations du fait de l’implantation de cette société à Ity. Mais le comble, c’est qu’il n’y a jamais eu de dédommagement pour ces frustrés qui, pourtant, sont des peuples dont les activités sont basées sur le travail de la terre. A-t-on besoin de demander à la SMI de dédommager les riverains et ceux qui ont vu leurs terres échoir à la dite société dans le cadre de ses activités ? Il va de soit que la situation des habitants du village soit traitée avec la plus grande attention. Mais assurément, le bon sens n’a pas sa place chez les responsables de cette société qui ne pense qu’à son avenir, à son devenir et à ses intérêts. Les familles qui meurent de faim, Daniel Yahi, ses collaborateurs et complices s’en moquent. Et le dédain qui les animait ne s’est pas arrêter à la simple manifestation de leur indifférence devant les complaintes des pauvres populations. Puisque malgré la justesse du combat mené par ces braves hommes et femmes pour la reconnaissance des torts à eux faits, Yahi et les administrateurs civil et militaire n’ont trouvé mieux que d’appliquer la carte du bâton au détriment de la carotte. Les Forces de l’ordre, le bien commun à tous, censées protéger les populations, ont curieusement été mises à rude contribution, frappant et blessant les hommes et femmes aux mains nues.

 Le plus révoltant dans l’affaire, c’est que rien ne s’est passé en dehors ni des responsables administratifs de la société ni de ceux de la société. Le député et le Maire de Zouan-hounien ont reçu copie du procès verbal de la réunion des villageois, ainsi que le président du Conseil général de Danané, le Préfet, le Sous-préfet et le Chef de Brigade de Zouan-hounien et la haute direction de la SMI (le centre d’exploitation à Ity et le siège de la société à Abidjan), avec accusés de réception n° 273 pour le premier en date du 06 novembre 2008 et n° 5152 pour le second en date du 07 novembre 2008. Informés donc à temps des revendications des populations, Préfet, Sous-préfet, Chef de Brigade et responsables de la SMI n’ont daigné prendre au sérieux l’affaire, a fortiori y prêter une oreille attentive. Mais lorsque la situation a  pourri, les Forces de l’ordre, commis non pas par le Chef de brigade qui n’a pas grand pouvoir, mais par le Sous-préfet militaire, se sont attaquées aux jeunes gens aux mains nues. Sous le regard médusé du Capitaine Allah Kouakou Léon, arrivé dare-dare d’Abidjan en tenue de combat militaire, avec le DG de la SMI, Yahi, à bord d’un hélicoptère mis à la disposition par ladite société. Idem pour le Préfet Agnimel Salomon, qui était lui aussi à Abidjan en mission comme l’autre, et qui a dû rallier à sa façon, sa zone de fonction dans les heures qui ont suivi l’annonce de l’émeute. Le mal était déjà pourtant fait. Parce que prémédité. Des hommes faisaient urine avec du sang, d’autres avec des jambes irrécupérables. Mais par mépris pour l’Etre humain, ni les uns ni les autres, n’ont reconnu qu’il y a eu des blessés. Tous, peut-être sciemment, peut-être inconsciemment, affirment qu’il n’y a pas eu de blessés.

Des attitudes qui ont suscité au sein de la population, des nervosités et de nouvelles revendications posées par celle-ci. Lesquelles revendications ont été classées en deux catégories. D’une part, les préalables non négociables qui consistent en la prise en charge des blessés, du fait de l’intervention des Forces de l’ordre, en la réparation coutumière des dommages et au départ d’un agent du Centre d’exploitation, pour cause de propos malveillants à l’encontre du Chef de canton et de la population. D’autre part, des revendications, à savoir entre autres, la libération et la réhabilitation des établissements sanitaire et scolaire occupés par les Forces de l’ordre à Ouyatouo, l’étude de l’impact environnemental du fait de l’utilisation du cyanure dans l’exploitation de l’or, l’exigence d’un quota de recrutement des villageois dans toutes les catégories du personnel de la société, à raison de 100% pour les journaliers, 80% pour les manœuvres, 50% pour les ouvriers, 20% pour les cadres moyens et 10% pour les cadres supérieurs ; la purge des droits coutumiers, l’augmentation de l’aide aux populations à hauteur de 400 millions de fcfa par an, le versement annuel d’une somme de 30 millions de fcfa à huit (8) familles ayant perdu terres et plantations du fait de la Mine, la gestion du fonds d’aide aux populations riveraines par un comité de suivi composé de la SMI, des populations riveraines, de l’administration minière, de l’administration territoriale et des élus, mais aussi et surtout la définition d’un chronogramme précis d’exécution des points d’accord… 

 

                                             Mabri, comme un sauveur…

 

On ne sait vraiment pas jusqu’à quand court cette mise en demeure des populations qui, comme la première fois, menacent de bloquer par tous les moyens, les activités de la société, si rien n’est fait pour satisfaire à leurs revendications. Pour ce qui est des troubles de début novembre, on peut dire que les populations, suite à la barbarie exercée sur elles par les gendarmes, n’étaient pas prêtes à lâcher du lest. La tension est restée vive jusqu’au 15 novembre 2008, date à laquelle le président de l’UDPCI, le ministre des Transports, Albert Mabri Toikeusse, député et fils de Zouan-Hounien et sa délégation, se sont rendus sur les lieux pour jouer les entremetteurs. Leurs différentes rencontres avec les populations ont permis de baisser les tensions et de décanter une situation qui était réellement inextricable avant l’arrivée des Cadres de ce département. Déjà, le président Mabri, une fois à Zouan-hounien, n’a pas lésiné sur les moyens pour que soient assurés les soins à administrer aux blessés. Toute chose qui a permis d’éviter des dégâts humains. Le Préfet ayant refusé de porter secours aux blessés, alors qu’il est le « maître d’œuvre » de tout ce qui a été commis comme actes violents sur les villageois.  Mais plus, le président de l’UDPCI a eu au cours de ses visites dans les villages sillonnés et à la réunion du lundi 17 novembre à la Préfecture de la ville, un discours responsable, réconciliateur, et fait de mots apaisants. En somme, un discours qui épouse l’ère du temps, malgré les propos discourtois du Préfet Agnimel Salomon qui a traité les « Yacouba » de rebelles et de sous hommes. « C’est moi qui suis l’Etat ici. Devant n’importe quelle situation, je peux faire intervenir les Forces de l’ordre pour vous faire battre sans qu’il ne se passe quelque chose ». Ces propos affreux et d’une puanteur sauvage, ont bel et bien été tenus par Agnimel Salomon que les populations refusent de considérer dès lors, comme le Préfet. Car, elles jugent irresponsables de tels propos, surtout lorsqu’ils proviennent d’un représentant de l’Etat comme ce dernier. Mais face aux comportements déviationnistes du Préfet ( ?), devant un Ministre de la République qui plus est, est membre l’ethnie visée et député de Zouan-hounien, on peut dire qu’il en a fait trop, tout de même. Ce zèle d’une autre époque, M. Agnimel en a fait cas devant l’assemblée qui était également composée de M. Chairman, président du Conseil d’administration de la SODEMI, de M. Kessé, directeur d’exploitation de la SMI, du Médiateur envoyé par le ministre des Mines et de l’Energie, et du Sous-préfet militaire. Le Préfet qui, notons-le, a refusé d’avoir à ses côtés, le Ministre Mabri.

La vérité, c’est que M. Agnimel et ses complices avaient à cœur de donner la mort aux pauvres populations. Mais c’est le bon Dieu qui n’a pas cautionné.

En conséquence, pour le mépris affiché vis-à-vis des cadres et de la population de Zouan-hounien, les populations décident de ne pas se reconnaître en des représentants de l’Etat qui, au lieu de les protéger, constituent pour elles, un danger permanent, une source d’insécurité. Il s’agit du Préfet Agnimel et du Sous-préfet militaire Allah.

De cette situation, on peut retenir deux choses. Le mépris des deux administrateurs et des responsables de la société minière dont MM. Yahi et Kessé, puis l’intermédiation salutaire du président de l’UDPCI pour calmer les esprits. Une intervention sans laquelle, on peut le dire, le pire aurait été inévitable.

 

Publié dans société

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