Crise ivoirienne : les problèmes de finance comme prétexte des retards

Publié le par Denis-Zodo

 

Lors de la quatrième réunion du Cadre permanent de concertation (CPC) de l'Accord politique de Ouagadougou sur la résolution de la crise ivoirienne qui s'est tenue le 10 novembre dernier dans la capitale burkinabé et à laquelle  le Président ivoirien Laurent Gbagbo, le Premier ministre Guillaume Soro, l'ancien Président ivoirien Henri Konan Bédié et l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara y ont participé, l’élection présidentielle initialement prévue le 30 novembre 2008 a été encore reportée.

Rappelons que l'élection présidentielle ivoirienne devrait initialement avoir lieu en 2005, date de la fin officielle du mandat de Laurent Gbagbo. Mais nous sommes allés de report en report jusqu’à ce jour.

Fort de tout cela, les élections renvoyées à l’année prochaine auront-elles vraiment lieu en 2009 ? A quand la fin de cette habitude ivoirienne : le report de la fin de sortie de crise …

 Le premier trimestre 2009 retenu serait- elle la date effective de la

« délivrance » de notre pays ?

 
Difficile de répondre par l’affirmative à ces questions, car les choses ne sont pas encore claires.

En effet, selon les parties aux différents accords de sortie de la crise ivoirienne, les raisons de ce énième report officiel, au-delà de la rhétorique perfide, sont sans équivoques: le non désarmement des ex-combattants des Forces Nouvelles (FN) et le non démantèlement des milices sont aux oubliettes ; alors qu’ils ont été prévus au plus tard pour le 30 décembre 2007 (Art. 3 du 3e accord complémentaire à l’APO), certaines Administrations des zones Centre Nord et Ouest (CNO) sont  toujours occupées par  les Forces Nouvelles. Elles n’y ont pas encore consenti à céder les fonctions fiscales à l’Etat dans  ces zones, car ils  conditionnent cela à l’intégration de tous leurs éléments, chargés de la fiscalité de leurs zones, à l’Administration fiscale Nationale. Le problème est le même dans les autres Administrations, à la différence que dans ces dernières, les demandeurs semblent recevoir un écho favorable; le non fonctionnement du Centre de Commandement Intégré (CCI); la lenteur et le retard de l’opération d’identification et d’enrôlement des populations, sans oublier le retard dans  les opérations de reconstitution de l’Etat civil.

 

Certes, les structures techniques que sont la CEI, la Sagem-Sécurité et l’INS, ont proclamée leurs capacités à finir ces opérations en temps utiles et ont fait campagne autour du 30 novembre 2008 pour  la présidentielle, mais la volonté politique et les moyens financiers ont prédisposé à ce report.

 

On a vu, lors des opérations d’identification et d’enrôlement, plusieurs contestations nées du non paiement des salaires des agents ont perturbé le fonctionnement normal des centres. Selon les tentatives d’explications de certaines autorités compétentes, il n’y avait plus d’argent. Mais où est passé l’argent disponible pour les élections dont parlait le Premier Ministre Soro au lancement de l’Opération ?

 

La vérité est que la Côte d’Ivoire a financé sa cote part, et les bailleurs de fonds n’ont pas tous respecté leurs engagements. C’est donc, sur la base des promesses à nous faites par ceux-ci que nous nous sommes lancés dans l’opération qui nous a entraînés dans un cul de sac. Aujourd’hui encore, on reprend le même scénario avec les bailleurs.

Dans le budget 2009, rendu public il a quelques jours, il est indiqué que les 25 milliards Fcfa seront consacrés à l’organisation des élections, dont 13 milliards proviendront des partenaires extérieurs. Soit la plus grande partie. C’est donc dire que la tenue effective des élections en 2009 est subordonnée au bon vouloir des financiers extérieurs. Quelles garanties a-t-on, que ces partenaires au développement joueront leur partition le moment venu ? Frappés par la crise financière, ces partenaires extérieurs ne feront-ils pas des difficultés pour délier les bourses ? L’aide attendue de ces pays occidentaux et autres Institutions financières internationales sera-t-elle à la hauteur des attentes, eu égard aux différents plans annoncés par ces pays pour juguler la crise financière ? Autant d’inquiétudes qui amènent à s’interroger sur la justesse du choix fait par nos autorités de faire supporter la plus grande partie du financement des élections par l’Extérieur.

Mais pourquoi ne finançons nous mêmes pas l’élection présidentielle ?

 

 Le chef de l’Etat et le Premier ministre ont toujours prétexté de l’absence de l’aide extérieure pour justifier l’impossibilité de mettre en œuvre certains pans du programme de sortie de crise. On a souvent invoqué la rareté des ressources extérieures pour expliquer le blocage du regroupement et du désarmement des ex-combattants de la rébellion, le piétinement du démantèlement des milices, de l’identification, les difficultés de fonctionnement du Centre de Commandement Intégré, bref tout ce qui a grippé, à un moment donné, le processus de sortie de crise. Au moment où nous disposons de l’argent pour payer la totalité de nos dettes extérieures, pourquoi ne réglons nous pas le problème urgent des élections qui est consubstantiel à la paix et au développement ?

 

L’autre paradoxe dans l’histoire, c’est que pendant que la tenue des élections est subordonnée à l’apport extérieur, l’Etat ivoirien trouve par lui-même, les ressources pour solder les arriérés des « haut les cœurs », ces primes de guerre dues aux forces de défense et de sécurité. A cet effet, le budget annuel 2009 prévoit d’y consacrer 26,4 milliards Fcfa, soit plus que ce qu’il faut pour l’organisation des élections.

 

Et pourtant, l’argent circule entre eux !

 

De part et d’autre, chacun tire des bénéfices de  la fiscalité.

En disant à Dabakala le 17 octobre dernier que : « sur la partie nord où nous ne percevons pas de taxes et d’impôts, nous perdons 40 milliards par mois. C’est pourquoi, nous redoublons d’effort pour recouvrer l’entièreté du pays», Laurent Gbagbo à travers cette préoccupation, montre que  les Forces nouvelles s’accaparent « 40 milliards de FCFA par mois », hormis ce que l’Etat leur donne, dans le cadre des fonctions de leurs membres dans les structures de la République. Avec cette fiscalité prélevée, les forces nouvelles devraient en principe payer les salaires de leurs agents et soutenir les populations de leurs zones. Or, si les soulèvements des ex-combattants des Forces Nouvelles (FN) sont fréquents en zones CNO pour primes non payées, c’est que cette somme colossale (plus de 400 milliards par an) n’est pas mise au profit ni de la population au nom de laquelle l’on a pris les armes, ni même pour soulager l’éreintement de leurs soldats sur le terrain.

Cette réalité nous inspire un financement conjoint des élections et des opérations de sortie de crise par les comptabilités nationales et celles des Forces nouvelles. Car, autant on paie les impôts à Abidjan, autant on en paie en zones CNO. Mais à quoi sert cet argent ?

Fort de tout ce qui précède, veut-on objectivement aller aux élections ?

 

Pourquoi l’Etat de Côte d’Ivoire, si jalouse de sa souveraineté, n’en fait-elle pas autant pour les élections ? Si les élections représentent le cœur du processus de sortie de crise, pourquoi les 25 milliards qui y sont consacrés ne sont-ils pas tirés des ressources internes comme c’est le cas pour la grosse partie des 120,7 milliards prévus pour les actions de normalisation et de sortie de crise ? On ne peut vouloir une chose et son contraire : revendiquer son indépendance tout en tendant la main aux autres pour l’organisation de ces élections paraît utopique.

 

Dans leur démarche, les choses sont claires : d’une part, ils prônent la nécessité d’aller aux élections et d’autre part, ils s’opposent à sa mise en œuvre.

Ainsi, lors de sa rencontre avec les populations de Vavoua, le 16 juillet 2008, le Président Gbagbo disait : « il faut absolument que nous allions aux élections le 30 novembre, parce que c’est ce jour-là que nous allons être véritablement libérés.… »

Pourtant, plus loin il termine en ces termes : « je pense qu’avec un groupement hétéroclite dont certains veulent la sortie de crise et d’autres pas, on ne peut pas aller à la sortie de crise ».

 

 

Le 30 juillet 2008, à l’occasion de la cérémonie anniversaire de la Flamme de la paix à Bouaké, le Premier ministre Guillaume Soro déclarait : « l’élection du 30 novembre 2008, constitue une clé de voûte qui saura effacer les rides et les aléas du passé».

C’est donc, dans ce flou artistique que nous avançons depuis 2005.

 

Mais eu égard aux conséquences incalculables, il va falloir agir objectivement

pour ne pas mettre fin à notre rêve d’une sortie de crise imminente

Les conséquences de la non organisation des élections sont catastrophiques.

Car, plus le temps passe, plus les vraies victimes de cette crise se multiplient. On assiste à la fragilisation de l’Etat, des abus de toutes sortes, la recrudescence de la criminalité, le grand retour des grèves.

Pour la troisième fois consécutive, le Budget de l’année sera adopté par ordonnance. Une justice parallèle s’est développée par la prise de décisions, par le Parquet en dehors de la chancellerie. La plus grave des conséquences, c’est à terme, le délabrement économique du pays.

Il faut donc un éveil des consciences, l’évaluation de l’action des dirigeants, l’autocritique et la remise en cause ainsi que la nécessité de l’alternance démocratique. Pour ce faire, il faut la nécessité d’un compromis dynamique sans démagogie ni faux-fuyant.

On le voit, le dernier report survenu le 30 novembre 2008 est un report de trop. Faisons en sorte que « le 1er trimestre 2009 » soit effectivement la date de la « délivrance ». Et que le report de la sortie de crise ne devienne pas une habitude ivoirienne.

 

 

Publié dans Economie

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