Mali : le jeu obscur de Kadhafi (2)

Publié le par Denis-Zodo

 

Durant cette crise, Béchir dépêché par Kadhafi, n’avait pas pour seule mission de rassurer les chefs touaregs et les notables des autres communautés de Kidal. Il devait également préparer le séjour de Kadhafi à Tombouctou, la ville spirituelle, dans laquelle il avait décidé de célébrer les festivités du Mouloud commémorant la naissance du Prophète. Le 9 avril, sur le chemin de Tombouctou, ATT et Kadhafi passent la nuit à Mopti. Pour le reste du voyage, le « Guide » abandonne ATT et prend seul la route. Il tient à être accueilli « seul » par la population. Au cours de la cérémonie, son prêche réveille l’irrédentisme touareg. D’autant qu’il rend public son rêve de voir les communautés du Sahel s’organiser en un État « du fleuve Sénégal à… l’Euphrate ». Ni les Algériens ni les Américains ne plaisantent. Kadhafi, lui, continue de jouer sa partition et reçoit Fagaga sous sa tente. Émoi dans l’opinion nationale, qui l’apprend par la presse. Le consul libyen à Kidal se veut rassurant : « la Libye ne cherche pas à déstabiliser le Mali  ». On ignore ce qu’a bien pu dire le « Guide » à Fagaga, mais ATT est demeuré vigilant sur le dossier de son compatriote touareg. Le 18 mai  de la même année, avant une visite controversée de Nicolas Sarkozy, alors ministre français de l’Intérieur, ATT trouve le temps d’accorder une autre audience - beaucoup moins médiatique, mais autrement plus importante - à Iyad Ag Ghali, son principal interlocuteur dans toute question touareg. Ag Ghali tient un discours alarmiste : « Dans les maquis on s’impatiente. Les gens sont convaincus que Bamako les roule dans la farine. » Réponse d’ATT : « leurs revendications ne sont pas simples à satisfaire. Les problèmes de développement ne sont pas exclusifs à Kidal. Il n’y aura aucune décision en dehors des institutions maliennes. On ne peut accorder une large autonomie à une région par simple décret présidentiel. Il y a un gouvernement et un Parlement. Ils ne sont pas là pour le décor ». Iyad Ag Ghali fait état de rumeurs ; Mais au-delà de ce constat, une forte complicité des mains obscures existerait.

 

Une forte complicité

 

Dès le début des incursions armées, ATT et tout l’état-major de l’armée ont commis une erreur stratégique qu’ils continuent de payer au plus fort. A la première escarmouche, ils se sont jetés dans les bras de l’ennemi faisant foi à la médiation algérienne. A défaut de récuser cette médiation, il faut dire que l’attitude des Algériens est suspecte dans la mesure où ils accordent asile et protection aux bandits armés qui viennent tuer et piller au Mali. Bahanga y a amené toute sa famille pour la mettre à l’abri. C’est à Alger et dans d’autres villes que les narcotrafiquants se rendent en villégiature pour dépenser les fruits de leurs rapines. Tout cela se passe au vu et au su des autorités algériennes. Peut-on être juge et partie à la fois ?

 

A la complicité tacite des autorités algériennes, s’ajoute, à l’intérieur, la flagornerie des hommes politiques. Soucieux de préserver leur rente, les responsables des quarante trois partis politiques qui ont soutenu la réélection du général, lui ont fait croire naïvement que seul le dialogue paie. A l’époque, ils avaient même traité de va-t-en-guerre ceux qui, comme le RPM d’IBK, avaient prôné l’option de la fermeté. D’un côté, il y avait les bons samaritains de la paix et, de l’autre, les ennemis de la nation. Habitué aux chants de sirènes, ATT s’est engouffré dans cette brèche mortelle, sachant bien que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Aujourd’hui, les faiseurs de paix  sont devancés par  les seigneurs de guerre.

 

Qui sont les assaillants ?

 

Hassan Fagaga, connu depuis février 2006. Le nom du lieutenant-colonel Hassan Fagaga est sur toutes les lèvres, chaque fois qu’on aborde la question touareg. Hassan Fagaga est un des descendants de l’Amenokal (le chef, en tamachek) des Touaregs de l’Ifogha. Membre actif de l’Azawad, il avait intégré l’armée régulière au lendemain de la cérémonie de la Flamme de la paix. Au palais de Koulouba, on reste persuadé que « Fagaga est plus un marabout qu’un soldat ». Après une médiation des notabilités locales, Fagaga revient à de meilleurs sentiments et promet de ne mener aucune action militaire. Mieux, il quitte de temps à autre son maquis pour « descendre » à Kidal, percevoir sa solde de lieutenant-colonel. L’identité du commanditaire de l’attaque du 23 mai ne fait pas longtemps mystère. Fagaga en revendique la paternité.

 Il a réussi à convaincre le commandant Moussa Bah, chef d’une unité basée à Menaka, à l’est de Kidal, de se joindre aux insurgés. Une fois les trois camps vidés de leur arsenal, une centaine d’hommes armés jusqu’aux dents se sont retirés à bord d’une quinzaine de pick-up. Direction : le Nord-Est, vers le QG des maquisards du lieutenant-colonel félon.

 

Quant à Hama Ag Sidahmed, Acteur de la rébellion touareg du Mali, depuis le mouvement populaire de l’Azawad des années 1990, il est également une des personnalités à l’origine des accords de paix signés entre la rébellion touareg malienne et le gouvernement malien, et ceux des accords d’Alger de juillet 2006 notamment. Pourtant, Hama Ag Sidahmed est actuellement partisan et acteur de la résurgence de la rébellion touareg, dans son pays le Mali. Fils de la région du Kidal (nord Mali) qui couvrait, avec le nord du Niger, des événements mouvementés depuis mai de la même année, il est, aujourd’hui, et depuis le 27 juillet dernier, le porte-parole d’une nouvelle alliance entre rebelles touareg du Niger et du Mali : l’Alliance touareg Niger-Mali (ATNM).

 

Ibrahim Ag Bahanga est le chef des rebelles touareg de cette zone. Ils détiennent depuis fin août une trentaine de personnes, des civils et des militaires, mardi 23 décembre 2008, par temoust. Il est le résistant inéluctable qui sévit actuellement.

Comme on le constate, Bahanga et sa clique veulent obliger ATT à faire la guerre. Ce faisant, il est obligé de faire la guerre ou de la subir parce que lui seul croit encore aux vertus du dialogue. Un piège infernal qui ressemble à un nid de guêpe dans lequel il s’est enfermé lui-même et qui est en train de lui faire perdre toutes ses plumes.

 

Aujourd’hui, l’on comprend d’autant moins, l’empressement des généraux à courber l’échine devant une horde de « pillards » qu’au Niger voisin un autre général refuse de dialoguer avec les terroristes. Mais, pourquoi, ATT désespérément cramponné à un dialogue inutile, qui vient, une fois, de plus, de se voir sonner le tocsin à l’oreille, et avec la rage au coeur,   ne se décide t-il pas encore ?

 

 

Les raisons de la réticence de ATT à faire la guerre

 

L’on se rappelle l’attaque d’Abeïbara en mai 2008, qui avait également mis ATT sur les nerfs. Il avait promis un châtiment exemplaire pour les narco-trafiquants du désert. Chose promise, chose due. L’opération «Faso jigi» menée par le colonel El Hadj Gamou, avait sérieusement maté les bandits armés dans les grottes de Tinzawaten. Cette riposte musclée de l’armée régulière appuyée par des hélicoptères de combat avait, provisoirement, fait renaître la quiétude et la confiance chez les populations. Tout le peuple malien s’était alors réconcilié avec son armée et avait cru, naïvement, que de telles attaques ne se perpétreraient plus.

 

Mais, aujourd’hui, la force de frappe des rebelles est nettement impressionnante car les forces loyalistes semblent abandonner la résistance. L’on avait cru que les opérations de ratissage menées au nord par les troupes du colonel El Hadj Gamou allaient se poursuivre. Mais à l’évidence, avec l’attaque de Nampala, on voit que nos soldats ont baissé la garde alors que la vigilance était de mise. Et au fur des attaques, Bahanga veut prouver qu’il peut frapper des objectifs au coeur même du pays. L’attaque de Nampala est là pour l’attester.

 

Aussi, le conflit est-il en train de s’éloigner des bases des bandits armés pour se fixer au centre, à défaut d’atteindre le sud profond. En effet, c’est en frappant au cœur de la cité que Bahanga veut prouver sa forte capacité de nuisance, frapper l’opinion et faire une grosse impression sur la communauté internationale si prompte à s’émouvoir pour la cause des Touaregs.

 

De plus, le président ATT est resté seul dans son combat. Contrairement au beau temps de la campagne électorale, aucun homme politique ne pipe mot des attaques armées au nord. Pas de meetings de soutien comme on en voyait à profusion lors d’événements pourtant infiniment moins graves. Tout le monde est devenu subitement aphone. Il est désormais seul. Et dans la solitude du palais, il médite longuement sur la versatilité des hommes politiques. Englué dans les sables mouvants sur le désert comme l’Afrika Korp de Rommel en 1942 en Libye, il sait qu’avec le terroriste Bahanga, longuement préparé et soutenu de part et d’autre, il est loin de faire la paix des braves. Mais, fort de tout cela, il ne saurait s’inviter dans une attaque barbare qui lui coûtera son fauteuil. C’est pourquoi, il privilégie les discussions.

 

Mais, cela semble être sans impact, car avec une fin d’année qui s’annonce aussi sanglante au Mali, l’attaque contre une base de l’armée malienne vient en effet mettre brutalement fin à une longue période d’accalmie que l’on espérait voir s’installer durablement. Il est contraint à se décider au risque d’atteindre ce qu’il veut éviter.

 

Car, l’on a vu cette nouvelle violation du cessez-le-feu  renforcer le camp des partisans, qui estiment que la rébellion ne comprend que le langage des armes, à la manière de Mamadou Tandja au Niger, de manière forte. Le langage utilisé par un porte-parole de l’armée malienne sur RFI ne trompe d’ailleurs pas sur la nouvelle tournure que pourraient prendre les relations entre Bamako et les rebelles. Les auteurs de l’attaque, qualifiés de "bande armée liée aux narco-trafiquants", ce qui leur enlève tout statut politique et les confine à de simples délinquants, ouvre la porte à  leur arrestation.

 

Et on sait que les bandits et les hors-la-loi sont combattus avec la dernière énergie, dans une guerre où la négociation n’a pas sa place. Est-ce l’option qui prédominera désormais au sein de l’état-major et des dirigeants politiques maliens ?

 

Ce d’autant qu’il s’agit seulement de la frange irréductible, celle de Ag Bahanga, qui continue de défier l’Etat malien. La plupart des autres groupes rebelles se sont en effet pliés aux accords d’Alger. Si donc la rébellion touareg se réduit à la faction d’Ag Bahanga, le Gouvernement malien sait à quoi s’en tenir.

En tout état de cause, toute action que viendrait à prendre désormais le Mali ne souffrirait d’aucune contestation. Le pays a payé un assez lourd tribut pour avoir cru en la parole du dernier des rebelles touaregs. Mis devant un grand dilemme par la tuerie de ses soldats, le président ATT doit donc se décider, et cela risque d’être la lutte résolument armée. Les autres groupes armés ont compris sa vision d’homme de paix. Mais tel n’est pas le cas de Ibrahim Ag Bahanga, qui semble faire de la rébellion un fonds de commerce. Il ne laisse plus vraiment le choix à ATT.

Dans tous les cas, il faut interpeller la Communauté internationale qui ne semble pas trouver d’intérêt dans ce conflit de plus de 20 ans.

 

 

 

 

 

 

Publié dans Politique africaine

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