Côte d’Ivoire : les dérives d’un sous-préfet militaire

Publié le par Denis-Zodo

                         

On croyait abusivement qu’il avait été nommé au poste de sous-préfet militaire pour administrer cette zone de guerre à laquelle appartient la commune de Zouan-hounien dans l’ouest montagneux ivoirien. Que non ! Le président Gbagbo s’est lourdement trompé sur le compte du Lieutenant Allah Kouadio, puisque c’est de lui qu’il s’agit. L’homme, contrairement à ce que pouvaient penser ceux qui lui ont fait confiance, est en train de dévier de la trajectoire qui lui était tracée. Au lieu de s’inscrire dans un rôle de pacificateur, de consolidateur du tissu social, et d’acteur de développement, notre cher lieutenant s’est métamorphosé en homme d’affaire, devenu, semble t-il très prospère, du moins au regard de ses actions sur le terrain. En effet, ledit responsable militaire vend des timbres d’état-civil à la population de la cité à 800 FCFA l’unité, alors qu’ils coûtent normalement 500 FCFA l’unité, soit une majoration de 300 FCFA sur chaque timbre. Après quoi, les bénéficiaires se dirigent vers la mairie,  pour se faire établir un extrait d’acte de naissance ou un jugement supplétif. Il aurait ainsi reçu 10 000 timbres à mettre à la disposition de la population. Un petit calcul rapide nous permet de savoir que le Sous-préfet militaire engrange la somme de 3 000 000 FCFA comme bénéfice de ce commerce illicite. Malgré cette augmentation de 300 f, les populations achètent ces timbres, espérant pouvoir se faire identifier et enrôler. Pour alléger les souffrances de cette population,  la mairie de Zouan-hounien  vient de recevoir 6 000 timbres qu’elle a décidé de mettre à la disposition de cette population au coût de 500 f. Pour des populations qui ont plus souffert des affres de la guerre que quiconque en Côte d’Ivoire, et qui sortent de cette crise très appauvrie, méritent-elles un tel traitement ? Avouons que le Sous-préfet militaire a à cœur de lui faire avaler la pilule ; une pilule qui du reste très amère.

De plus, ce qu’on n’imagine pas, le Lieutenant Allah Kouadio s’est spécialisé dans l’achat de produits (café cacao). Actif économiquement, le néo commerçant écoule ses produits vers la Guinée. C’est à croire que le Lieutenant n’est pas au service de la population que l’Etat a cru devoir servir en lui envoyant M. Allah Kouadio. Mais le chef militaire se croit à l’abri du danger, lui qui est très proche du camp présidentiel ivoirien. En effet, le responsable militaire ne cache pas son appartenance politique au parti au pouvoir. Il s’affiche publiquement comme militant du Front populaire ivoirien (FPI). C’est peut-être cette qualité de militant du FPI qui l’avait amené à laisser ses éléments, agir brutalement l’année dernière à la résidence du président de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), le ministre Mabri Toikeusse. Effectivement, les éléments du Lt Allah avait brisé toutes les chaises qu’ils avaient trouvées ce jour là au domicile du ministre à Zouan-hounien. Malgré l’indulgence du ministre, qui n’a pas voulu en faire une affaire d’Etat, le sous-préfet militaire a poursuivi ses actes de militantisme au vu et au su de tous. C’est à peine s’il ne plaque pas sur le visage, un écriteau pour afficher son appartenance au parti présidentiel. Tous croyaient qu’il avait été nommé à Zouan-hounien pour servir l’Etat. Mais on se rend bien compte que l’homme est surtout à la tâche pour Gbagbo. Non pour le chef de l’Etat, mais pour le FPI, parti dont est issu Laurent Gbagbo. Mais il n’est pas la seule autorité administrative dans la localité à s’illustrer de la façon la plus partisane qui soit. Le sous-préfet civil de Téapleu, Comoé Bandaman, est aussi engagé aux côtés du Lt Allah. Même si au dire de certains, le torchon brûle entre les deux hommes. Tous ces deux administrateurs civil et militaire seraient en accointance avec Meleu Mathieu, Bleukè Ernest, Kpôssô Emile, tous membres du FPI, tous en fonction à l’Institut national de statistique (INS), et tous trois, d’ethnie « yacouba », et originaires de cette région de l’ouest montagneux. Sans toutefois oublier le Colonel Major Alphonse Mangly, ci-devant directeur général des Douanes et militant invétéré du FPI. Mais plus, directeur de campagne du président Laurent Gbagbo à Danané, dans le cadre des présidentielles à venir. Ce dernier qui, venu en renfort aux autres, a offert motos et mobylettes à leurs militants sur place dans la localité, pour faire campagne et remettre gracieusement des timbres aux populations pour l’établissement de leurs pièces. Ce lot de personnalités, on l’imagine, est épaulé par le néo militant du Rassemblement pour la paix, le progrès et le partage (RPP), le président du Conseil général de Danané, le sieur Noutoua Youdé Célestin, transfuge de l’UDPCI.

 Mais le comble, notons-le, c’est que le Lt Allah est nourri, blanchi et transporté aux frais de la Princesse. Malgré cet avantage, l’homme empoche les petits francs des paysans, fruit de combien d’efforts !

 

                                                   Prise entre deux feux

 

Quand la crise a éclaté en septembre 2002, à l’ouest du pays, les populations de l’ouest montagneux, et précisément celles de Zouan-hounien et Bin-houyé ont souffert de la guerre. Elles ont fuit leurs villages, leurs plantations, vers le Libéria voisin. Avec des vieillards et des enfants, les hommes et les femmes ont marché, couru, à pieds, sur les routes, à travers les forêts pour échapper aux balles des kalachnikov, en un mot, à la mort. Revenues après une accalmie, les populations ont reçu dans un premier temps des sous-préfets civils. Mais, face à la tension persistante dans la zone, le chef de l’Etat s’est résolu à nommer des gouverneurs, préfets et sous-préfets militaires à l’ouest du pays, pour dit-il sécuriser cette partie « bouillante ». Normalement, ces derniers venaient pour calmer les douleurs des populations meurtries qui, pour les plus chanceux, ont pu échapper au pire. Mais désillusion !  Ces populations vivent plutôt un calvaire fou depuis leur arrivée dans la zone. Soumis qu’ils sont, à des rackets sans objet. Alors qu’on espérait la sécurité pour la population, l’on lui a plutôt servi quelque chose de différent. C’est à croire que dans cette affaire, ce n’est pas le bien être de la population qui était l’objectif visé, mais plutôt des intérêts personnels qui étaient au centre des préoccupations. Meurtris par la guerre, ces habitants de l’ouest montagneux n’ont pas eu droit à la protection de l’Etat. Mais pire, ils ont subi la rançon des autorités censées leur épargner toute souffrance. A dire vrai, si c’est cela l’apport de l’Etat à ses citoyens, nous osons penser qu’il a failli à sa mission, ne serait-ce que pour les réalités vécues par les habitants de l’ouest montagneux. Nous le disions récemment, la guerre a pris fin ; il est donc temps qu’on range les gouverneurs, préfets et sous-préfets militaires, pour faire la place à des  administrateurs civils qui veulent travailler honnêtement et impartialement. Parce qu’il est une vérité que ces messieurs qu’on nomme à des postes de responsabilité, sont payés par le contribuable. Ils ne sauraient s’illustrer comme des militants au service de leur parti, le FPI. Dans une République bananière, oui. Mais dans un pays comme la Côte d’Ivoire, on ne peut l’imaginer, même s’il est vrai qu’elle sort de crise.

Publié dans Politique ivoirienne

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