CPI : Peut-elle arrêter Omar El Béchir ?

Publié le par Denis-Zodo

Dans une de nos récentes parutions, nous faisions une réflexion sur le mandat d’arrêt émis par le procureur de la Cour pénale internationale contre le Président soudanais Omar El Béchir, sans considération des conséquences juridiques et des incidences sur le processus de paix, en cours dans ce pays. C’était en effet, une réaction à chaud de notre part. Mais avec du recul, nous nous sommes intéressés aux aspects juridiques, économiques et aux conséquences politiques de l’acte de Luis Mario Ocampo.

Dans une requête en effet, celui-ci a adressé au Soudan le lundi 14 juillet dernier, un mandat d’arrêt contre Omar Hassan El Béchir pour génocide, crime contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour. Devant l’ampleur de la situation au Darfour et l’intérêt de tous de savoir la vérité, on est en droit de s’interroger.

Que cache la personnalité de Omar El Béchir ?

Les relations diplomatiques et rapports juridiques ne constituent-ils pas des obstacles à cette action ?  La mise en œuvre d’une telle action est-elle opportune au moment où le processus de paix est en cours ?

Le passé historique du Président du Soudan est révélateur de ses ambitions. En effet, Omar El Béchir est un militaire de carrière qui s’est propulsé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat soutenu par les Islamistes en 1989. En 1993, il s’autoproclame Président de la République et cumule tous les pouvoirs avant de se faire élire pour la première fois en 1996. Les 19 ans passés à la tête du Soudan, le plus grand pays d’Afrique, ont été respectivement marqués par une guerre, puis la paix avec le sud chrétien et animiste, mais par des relations tumultueuses avec l’Occident dont  la France. Depuis 2003, il est dans un conflit meurtrier sans précédent, celui du Darfour. Celui-ci est caractérisé par des violences graves dans lesquelles les civiles noires sont la cible des forces soudanaises et des miliciens arabes pro gouvernementales : les ‘janjaweed’. A côté, sont nées des forces rebelles du Darfour, qui alimentent des conflits quotidiens avec les forces d’en face. Omar El Béchir, convaincu que ces forces ne peuvent mettre fin à son désordre, a fini par accepter la présence des forces internationales, impartiales, au Darfour, à savoir la force hybride composée de l’ONU et de l’Union Africaine, en vue d’une résolution totale de cette crise. Ce processus actuellement en cours, semble connaître des avancées notables quand survient le 14 juillet 2008, la demande d’inculpation et d’arrestation de El Béchir par le procureur de la CPI, au motif qu’il a commis des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre au Darfour pendant le conflit. Cette demande est fondée, mais les possibilités de sa réalisation sont limitées par le droit et les faits. La décision du procureur de la CPI est inquiétante et sa mise en œuvre doit être analysée savamment pour trois raisons majeures, à savoir les obstacles diplomatiques et juridiques, la préservation des intérêts économiques et politiques, et la préservation de la paix sociale et la résolution du conflit au Darfour.

Sur le plan juridique et diplomatique, le traité de Rome, qui est la source de la Cour pénale internationale ne prévoit aucun instrument de coercition pour faire appliquer les décisions de la Cour. Ainsi, en cas d’inculpation, Béchir peut être contraint par Interpol à demeurer sur son territoire et jouir de son autorité légitime. C’est donc en cas de déplacement dans un autre pays qu’il pourra être arrêté par les polices de ce pays, ce qui est d’ailleurs difficilement envisageable. En outre, le Conseil de sécurité des Nations Unies peut selon les textes, demander une suspension des poursuites pour une durée de un an renouvelable. Or, dans la prise de cette décision, les parties ayant le droit de veto ont une contribution majeure. La Chine et la Russie, dotées de droit de veto et partenaires privilégiées de Khartoum, vont-elles laisser périr leurs intérêts économiques et politiques au détriment d’une condamnation bizarre ? La décision du procureur de la CPI est diversement partagée.

Il est accusé par la plupart des analystes de s’occuper plus de politique que de droit international. Car, excluant la situation locale. C’est pourquoi, certains considèrent  l’accusation de génocide comme une « rhétorique militante » irréaliste, selon les termes de Roland Marchal dans le journal ‘le Monde’. L’immixtion spontanée de Paris dans les déclarations d’incrimination de Bernard Kouchner dès les premiers moments, présageait de l’existence d’une main obscure dans cette affaire. Pékin, détenteur de multiples contrats au Soudan, ambitionne de jouer des rôles importants dans les initiatives internationales de règlement de la crise au Darfour. Mais, en raison des jeux olympiques qui auront lieu dans quelques jours dans son pays, la Chine ne saurait prendre position, au risque d’entacher la réussite de cette manifestation. Les pays arabes et certains chefs d’Etats africains déplorent cette décision dont les conséquences sont incalculables. Les répercussions négatives sont envisageables, car pourraient entamer les efforts de paix menés jusque-là. Les casques bleus en poste au Soudan pourraient être pris pour des cibles privilégiées. Déjà, les Nations Unies ont commencé à faire évacuer une partie de leur personnel. Or, cela pourrait contribuer au maintien de Béchir au pouvoir, pour jouir de son immunité présidentielle comme ses prédécesseurs Slobodan Milosevic et le libérien Charles Taylor. Pour mémoire, il y a eu le mandat d’arrêt lancé contre l’ex-président dictateur chilien Pinochet.Devant l’avancée des faits, El Béchir semble retrouver la voie de la réconciliation. Khartoum a repris des relations avec le Tchad, et des réunions d’urgence de la ligue arabe sur le cas Omar El Béchir, à l’effet de mettre fin à cette initiative du procureur. C’est donc une crainte partagée par les pays africains et arabes qui y voient une injustice criante. Il ne faut pas que dans la mise en œuvre des actions de la cour pénale internationale, les responsables africains  soient pris pour cibles privilégiées. La justice doit donc s’incliner devant les exigences diplomatiques de la paix. D’ailleurs, les Etats-Unis n’ont jamais ratifié le traité de Rome en raison de leur conception de la chose. Il faut donc appeler tous au calme afin d’éviter le pire en cette période sensible. Cependant, le problème de l’inculpation pourrait faire l’objet de discussion au moment opportun. Si, ce qu’on lui reproche est fondé, il pourra être arrêté et puni convenablement selon les actes en vigueur, mais après avoir établi la paix au Darfour. Le libérien Taylor a été inculpé en 2003, après la résolution de la crise du Libéria.                  

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