Le grand gaspillage de la sécurité américaine
Les Etats-Unis gaspillent des milliards dans des projets de sécurité qui ne servent à rien.
Ceux qui prennent souvent l'avion connaissent la chanson. Il faut se déchausser à cause de Richard Reid, qui avait caché des explosifs dans ses souliers. Pas de gel pour les cheveux dans le bagage à main, à cause des terroristes qui avaient échafaudé un attentat avec de l'eau oxygénée à Heathrow. Une fois à bord, grâce à l'homme qui a caché des explosifs dans son slip le jour de Noël, vous devrez à partir de maintenant enlever votre couverture avant l'atterrissage. Vous dormiez? Tant pis pour vous!
Quand quelqu'un aura trouvé le moyen de cacher une poudre explosive à l'intérieur d'un étui à brosse à dent, préparez-vous à ce qu'on vous demande de vous en séparer. Et pendant que vous y êtes, jetez une pincée de sel par-dessus votre épaule gauche en montant dans l'avion. Mais surtout, n'allez pas imaginer que le cirque de la sécurité aux aéroports vous mettra à l'abri du danger, car personne ne sait laquelle de ces mesures est nécessaire, ni même si aucune d'entre elles ne l'est.
Encore pire, aucune motivation financière ou politique ne pousse quiconque à chercher à le savoir. Depuis leur création, aussi précipitée que lourdement politisée, il se trouve que ni les priorités, ni l'organisation des dépenses du Département de la sécurité intérieure (Homeland Security ou DHS) et de son plus petit partenaire, l'administration pour la sécurité des transports (Transportation security administration ou TSA), n'ont fait l'objet d'un examen sérieux. Aucun n'a jamais été obligé de faire de choix douloureux. Au contraire, tous deux ont été encouragés par leurs bailleurs de fonds du Congrès à investir dans des équipements toujours plus élaborés, en réaction à chaque nouvelle menace réelle ou supposée. Par conséquent, les scanners corporels, encore inacceptables l'été dernier, vont être mis en service dès que possible. En quelques années à peine-sous une administration républicaine et des Congrès en majorité républicains-ces institutions se sont transformées en vastes administrations incontrôlées, dont certaines activités n'ont que des relations très lointaines avec la sécurité publique.
Il est devenu si banal de ressasser la liste des projets publics ridicules que les lecteurs qui ne peuvent supporter l'idée d'en lire une fois de plus la litanie sont autorisés à se rendre directement au paragraphe suivant. Car oui, c'est vrai: après avoir démarré avec 13 salariés en janvier 2002, la TSA en emploie aujourd'hui 60.000, et en procédant à sa généreuse expansion, elle a découvert qu'elle avait les moyens de s'offrir tout un tas d'extras. Comme je l'ai écrit en 2005, quelque 350.000 dollars de son budget de 6 milliards ont été consacrés à l'édification d'une salle de sport; 500.000 dollars à des œuvres d'art et des plantes artificielles, et on ne sait combien de millions de dollars sont dépensés chaque année pour recruter des employés inutiles, étant donné que déterminer à quel moment il devra y avoir de longues files d'attente à la sécurité d'un aéroport n'a jamais été le fort du gouvernement fédéral. Quant au département de la sécurité intérieure, son budget 2010 se monte à 55 milliards de dollars, dont une partie (selon le rapport de 2006 de l'économiste Veronique de Rugy) sera invariablement affectée à des postes tels l'unité de décontamination à 63.000 dollars de la zone rurale de Washington, où personne n'a été formé pour l'utiliser; à plus de combinaisons de protection biochimique pour Grand Forks County, dans le Dakota du Nord, que la ville n'a de policiers pour les porter; et à des équipements de secours et de communication d'une valeur de 557.400 dollars, apparemment indispensables aux quelque 1.500 habitants de la ville de North Pole, en Alaska. Sans parler de ce qui est dépensé pour répondre aux «besoins» des élus d'autres importants membres du Congrès.
Les employés du DHS et de la TSA ne sont pourtant pas responsables de ce genre de décisions. Dès le départ, des experts en sécurité et jusqu'à leurs propres inspecteurs ont signalé l'absurdité des dépenses de ces administrations, dont beaucoup sont motivées par la dernière histoire alarmiste en date. (J'aurais donné beaucoup pour assister à la fête de célébration du Nouvel An que n'auront pas manqué d'organiser les entreprises de fabrication de scanners corporels). Et depuis le début, le Congrès résiste aux critiques, continue d'allouer de l'argent à des projets locaux superflus, réagit aux histoires sensationnalistes des médias, ouvre son porte-monnaie selon le bon vouloir de ses membres, et ose se déclarer choqué-choqué !-de découvrir que notre dispositif de sécurité nationale, qui nous coûte plusieurs milliards de dollars, a été incapable d'empêcher qu'un Nigérian clairement dérangé ne monte à bord d'un avion à destination de Détroit.
Imaginons plutôt que le généreux budget de la TSA soit consacré à la création d'un réseau informatique à la pointe de la modernité, qui aurait permis aux responsables de la sécurité d'Amsterdam d'être informés instantanément de l'avertissement envoyé par le père du terroriste aux sous-vêtements piégés. Imaginons qu'au lieu de nous faire passer intégralement aux rayons X ou de nous priver de couverture sur les longs courriers, on mette en place des agents consulaires très bien rémunérés et formés dans des pays comme le Nigeria. Même ainsi, la sécurité ne serait pas parfaite (je ne suis pas convaincue d'ailleurs que le terrorisme aérien soit le pire des dangers qui nous menacent). Mais il serait logique d'avoir un système plus réduit, moins onéreux, et moins gaspilleur. Il serait logique qu'il soit basé sur des priorités et des risques réels plutôt que sur des histoires relayées par les vingt heures. Il serait logique de livrer la prochaine bataille, pour une fois, plutôt que celle qui est déjà derrière nous. Hélas, la logique n'entre pas en ligne de compte dans les critères de dépense de l'argent public dans ce pays-et cela fait un moment que ça dure, indique Slate.