Côte d’Ivoire / Football : 19 morts et 132 blessés pour 90 minutes de joie
19 morts et 132 blessés. C’est le bilan très négatif qui a sanctionné les bousculades intervenus dimanche à Abidjan, la capitale ivoirienne, peu avant le match Côte d’Ivoire-Malawi, comptant pour les éliminatoires combinées de la Coupe d’Afrique des Nations de football et de la Coupe du monde de 2010 respectivement en Angola et en Afrique du Sud.
C’est vrai, l’équipe nationale de Côte d’Ivoire (les éléphants), amenés par l’international Didier Drogba du Football Club de Chelsea, ont sévèrement battu les « Flames » du Malawi par le score sans appel de 5 buts à 0. Il n’empêche que les éléphants de Côte d’Ivoire ont gagné dans le sang. Et cela, le monde entier en a été choqué. Un véritable drame qui s’est produit dans un stade où était présent le Chef de l’Etat ivoirien en personne. Comme lui, de nombreux Ivoiriens avaient pris d’assaut ce stade surnommé « le Félicia » en Côte d’Ivoire, pour pousser leur équipe nationale à la victoire. Mais 19 parmi eux, ont perdu la vie quand 132 (chiffres officiels) ont été blessés parce qu’ils tentaient vainement d’avoir accès au stade. Selon les premières informations, juste avant le début du match, du beau monde attendait encore dehors, quand le stade dont le contenu s’élève à 35 000 places, était déjà plein à craquer. Des personnes qui attendaient dehors et qui étaient pour la plupart, curieusement détentrices de tickets d’entrée au stade. Le dimanche soir, au cours du journal télévisé de 20 heures, le ministre des sports avait déclaré que le monde qu’il y avait dehors, était plus élevé que celui qui avait bourré l’enceinte du stade Félix Houphouët-Boigny.
La police qui savait qu’il n’y avait plus de place au stade, avait fermé les portes d’accès. Mais d’autres policiers véreux ne se gênaient guère de prendre de l’argent à des personnes sans ticket, pour les laisser entrer, alors que des détenteurs de billets étaient empêchés d’avoir accès au stade. Ceux-ci ont donc forcé l’entrée jusqu’à ce que le mûr entourant le stade cesse. La police débordée, a alors fait usage de la force et des bombes lacrymogènes, créant ainsi la débandade qui a ainsi causé ces dégâts. Ainsi que l’ont témoigné certains rescapés interrogés sur leurs lits d’hôpital. Véritable acte d’injustice et d’inconscience.
Cela dit, les responsables du sport ivoirien accusent les agents des Forces de l’ordre d’avoir été à la base de drame. Eux rejettent ces accusations directes, et indexent plutôt les responsables de la Fédération ivoirienne de football (FIF), qu’ils accusent d’avoir vendu plus de tickets que de places existantes.
En tout état de cause, une enquête est annoncée pour situer les responsabilités et trois jours de deuil national ont été décrétés par le gouvernement ivoirien. De plus, la Fédération internationale de Football Association (FIFA), tout en présentant ses condoléances aux Ivoiriens, a demandé un rapport détaillé des évènements. Le commissaire au match a quant à lui ajourné son départ de la Côte d’Ivoire de 48 heures.
Mais d’ici là, comment a-t-on pu arriver à un tel désastre ?
De la légèreté des responsables
Pour nombre de personnes qui analysent la situation, il est inadmissible qu’autant de tickets aient été ventilés pour qu’on se retrouve avec du grand monde devant un stade rempli d’avance. Du coup, les regards sont tournés vers la FIF. Mais le responsable de l’organisation de la FIF se défend dans une interview qu’il a accordée à un journal ivoirien. « Nous avons vendu pour ce match, exactement 31 616 billets. La capacité d’accueil du stade Félix Houphouët-Boigny est de 34 600 places. Les chiffres prouvent que nous avons vendu un nombre de billets en deçà de la capacité exacte du stade. Ce sont des mesures que nous prenons pour pouvoir gérer les imprévus… », a expliqué Anzouan Kacou. Et d’accuser les hommes en tenue. « Ils (les agents de la Force publique) prenaient de l’argent. Quand vous êtes un enfant, c’est 100 FCFA. Si vous êtes un peu plus grand, c’est 200 FCFA. Nous avons les preuves de ce que nous avançons ».
On peut à la lecture de ces phrases, faire confiance à la FIF, et pourquoi pas, la mettre au dessus de tout soupçon dans cette affaire. Mais en poussant la réflexion, on se laisse aller à des interrogations.
Si la FIF a vendu 31 616 billets, comment explique t-on la présence de personnes avec des billets dehors, pendant que le stade était déjà archi-comble ? Les policiers ont beau fait entrer des personnes sans ticket, moyennant de l’argent, elles ne valent pas 10 000 personnes pour prétendre remplir le stade. C’est dire que plus de 31 000 billets ont été vendus d’une façon ou d’une autre. De deux choses l’une. Soit, des individus véreux ont organisé la fraude en faisant imprimer des billets parallèles, soit des membres de la FIF eux-mêmes, ont noyé dans cette pratique, en voulant s’enrichir sur le dos du public. Puisqu’on déclare que ceux qui attendaient dehors étaient plus nombreux que ceux qui étaient dans l’enceinte du stade. Quand on sait que les tickets comportent des stickers, il y a lieu de s’interroger sur le très grand nombre de tickets détenus par le public resté dehors. Evaluons par exemple à 31 000, le nombre de personnes ayant eu accès au stade avec leurs tickets, 500 invitations, 1000 ayant eu accès grâce à d’indélicats policiers. Cela fait presque le plein du « Félicia ». Mais comment expliquer alors la présence d’un si grand nombre de détenteurs de billets à l’extérieur du stade ?
Il y a assurément anguilles sous roche. Et là, si la FIF n’est pas à l’origine de la vente des billets parallèles, des agents de la FIF y sont. Si ce n’est pas le cas, il faut aller le chercher dans la société d’imprimerie qui produit ces billets. Car, si la FIF a confiance à cette structure peut-être parce qu’elle travaille depuis des années avec elle, il n’en demeure pas moins qu’il y ait des brebis galeuses qui ont peut-être voulu profiter de l’enjeu de ce match, pour vouloir se remplir les poches.
Dans cette situation, la FIF n’est pas sans reproches, même si elle a essayé de maîtriser tous les contours de l’organisation de ce match, y compris le volet sécuritaire dont il n’y avait rien à dire. En dépit des erreurs commises par des agents de la Force publique. Car, une sécurité, bien que renforcée, ne peut grand-chose devant une foule déchaînée.
Quand on se moque des morts
Il est certain, et ça, tout le monde le sait, ces événements graves ont eu lieu avant le match Côte d’Ivoire-Malawi. Nul ne peut donc nié que les responsables politiques et sportifs ivoirien n’étaient pas au courant de ce drame avant l’entame de la rencontre. Contrairement aux joueurs qui n’en savaient rien, comme l’a déclaré Didier Drogba, les autres acteurs le savaient. Car, rien d’une telle gravité ne peut avoir lieu dans les environs d’un lieu où se trouve le Chef de l’Etat et d’aussi grandes personnalités, sans qu’ils n’aient connaissances de cela. Si la police et la gendarmerie, puis le SAMU étaient au courant, comme c’était réellement le cas, c’est que le ministre de l’Intérieur et celui de la Défense en étaient informés. Eux également ne pouvaient ne pas informer le Chef de l’Etat. Idem pour la FIF qui ne pouvait pas ne pas informer le ministre des sports qui lui, ne pouvait s’empêcher de rendre, ne serait-ce que brièvement, des comptes au Président de la République, assis à ses côtés.
Alors, on peut déduire que tous les responsables politiques et sportifs, y compris les représentants de la Confédération africaine de football (CAF) et de la FIFA en étaient informés.
Mais pourquoi ni le Président Laurent Gbagbo, ni les responsables de la FIF, ni ceux de la FIFA, en somme, tout ce beau monde de décideurs, n’a pu reporter ce match pour le respect de ces personnes tombées?
Assurément, il y a eu du mépris de la part de tous ces responsables. On aurait compris autre chose si les événements s’étaient déroulés après le match. Mais avant le match, pour une question de moral à respecter, il eut fallu reporter ce match. Car, mine de rien, alors que des hommes rendaient l’âme et que certains souffraient de leurs blessures, d’autres criaient de joie au but du sociétaire du FC Séville N’dri Koffi Romaric, inscrit à la 26ème seconde de la première mi-temps. Puis suivirent les buts de Drogba, de Kalou, puis de Bakary Koné dit « Baky », toujours sous les applaudissements des spectateurs certainement non informés de la situation dramatique qui se déroulait dans leur dos.
On nous dira qu’en 1985, la finale de la Coupe d’Europe des Clubs entre la Juventus de Turin et Liverpool à Bruxelles avait fait des morts avant le match. Et pourtant celui-ci s’était déroulé avec à la clé la victoire de Michel Platini et de la Juve, 1 but à 0.
Mais nous ne parlons pas d’exemples, mais plutôt de moral. Et nous estimons qu’une vie humaine est plus importante que tout au monde.
Gageons que si Drogba et les siens l’avaient su avant le début du match, ils n’auraient pas accepté tels que nous les connaissons de chausser les crampons dans un bain de sang, et de danser après des buts marqués.
Avec ce qui arrive, on a parfois envie de penser que c’était du préparé ; même si ce n’est pas exact ; tant les autorités ont laissé faire. Un vrai laxisme qui ne dit pas son nom.
Pourvu que les enquêtes soient effectivement menées de façon sérieuse pour répondre aux inquiétudes que nous venons de soulever.
En Côte d’Ivoire, il semble pourtant que les enquêtes n’aboutissent jamais. Celle-là ne concerne pas que la Côte d’Ivoire. C’est le monde du football en général qui est touché. Vivement que la lumière soit faite.